[EXPOS] 08.07 ▷ 09.09 – Gilles Saussier / Louis Matton – La Forme Le Havre

[EXPOS] 08.07 ▷ 09.09 – Gilles Saussier / Louis Matton – La Forme Le Havre

Exposition 180 km avant la mer de Gilles Saussier et Objets autonomes de Louis Matton du 8 au 29 juillet et du 31 août au 9 septembre 2017 à La Forme, Le Havre.

Vernissage le vendredi 7 juillet 2017 à 18h30

Table ronde avec les artistes le samedi 2 septembre 2017 à 15h00

Pour prolonger sa participation au cinq centième anniversaire de la fondation du Havre, La Forme invite Gilles Saussier à présenter un nouvel épisode de 180 km avant la mer, projet sur l’axe historique parisien prolongé arbitrairement jusqu’à la Manche. L’installation confronte le km 11 (les derniers habitants de l’île de Chatou) au km 180 (les Basses Falaises), territoires situés tous deux en ligne droite de l’Arc de Triomphe avant la mer. Pour évoquer l’habitat spontané et sa poésie, opposable à l’imaginaire technocratique de l’aménagement territorial, Gilles Saussier a invité Louis Matton, diplômé de l’école nationale supérieure de la photographie (ENSP Arles) en 2015, à présenter Objets autonomes centré sur les modes d’habiter et de réinventer la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Exposition 180km avant la mer de Gilles Saussier :

Depuis plusieurs années, le photographe Gilles Saussier a entrepris un travail sur l’imaginaire de la Seine et de l’axe historique parisien du Louvre à La Défense. Il s’est réapproprié celui-ci en le prolongeant en ligne droite jusqu’à la mer, explorant les lieux situés sur ce tracé. À chaque étape de son enquête documentaire, au fil des 180 kilomètres qui séparent Paris de la Manche, l’artiste engage des rencontres avec les habitants et les usagers du territoire. L’enjeu est à chaque fois de recouvrer des histoires refoulées, d’évoquer des espaces culturels perdus, de proposer une contre-mémoire historique. Toute une histoire locale, poétique et émouvante ressurgit grâce au matériau collecté (récits, photographies, objets et documents trouvés) et à sa mise en espace.

Pour les 500 ans du Havre, l’équipe de La Forme a invité G. Saussier à présenter de nouveaux extraits de cet atlas. L’installation confronte la mémoire des derniers habitants de l’île de Chatou, où l’artiste avait réalisé en 1988 ses premières photographies (kilomètre 11) à la bande littorale du plateau de Dollemard et des Basses falaises (kilomètre 180) proche du Havre. Les visiteurs découvriront que le dernier monument ponctuant l’axe historique parisien est une montagne d’ordures – l’ancienne décharge du Clos des ronces – dont le front instable d’immondices et de gravats, déversés directement depuis le sommet de la falaise, continue de polluer gravement la bande littorale et les cabanoniers riverains dont l’érosion côtière emporte peu à peu les constructions précaires. Ce parcours de l’île de Chatou aux Basses falaises, dessine aussi un portrait en creux de la métropole parisienne et déplace la figure du chiffonnier littéraire et de sa hotte (chère à Baudelaire, à Walter Benjamin (1), et Eugene Atget) en naufrageur dont le crochet ne heurte plus le pavé des rues mais s’escrime sur les galets des plages.

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés. (2)

Charles Baudelaire, Le soleil, Tableaux parisiens, Les fleurs du mal, 1857.

(1)Walter Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, trad. Jean Lacoste, Paris, Payot, 1979.

(2) Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, éd. Claude Pichois, Gallimard, 1975 -1976, 2 vol.

Ce naufrage est également celui du gaspillage de l’espace agricole et naturel situé entre Paris et l’estuaire de la Seine – dont les célébrations des paysages de l’impressionnisme ne sont que le cache-misère – et qui promet aux habitants de l’ouest parisien le devenir collectif de banlieusards acculés dos à la mer dans un environnement massivement souillé par les industries. La préoccupation d’un recul et d’une perte de terrain face à l’avancée inexorable d’un modèle économique unique et de son corollaire, l’artificialisation du territoire, traverse la plupart des projets de Gilles Saussier depuis ses installations photographiques in-situ dans la vieille ville de Dhaka au Bangladesh (Studio Shakhari bazar 1997-2006), dans les quartiers d’habitat populaire de Nantes (Envers des villes, endroit des corps 2003-2008) ou dans les barrios de Bogota, dévorés par la spéculation immobilière (Bogota comme palimpseste 2017).

« Fidèle au principe de projets dont la forme, l’approche conceptuelle, la temporalité, les modes de présentation sont élaborés en rapport à des sites méthodiquement enquêtés, j’ai toujours cherché à montrer que quelque chose existe là où les collectivités locales, les promoteurs et les opérateurs culturels ne voient le plus souvent qu’une zone blanche, ou un simple champ de manœuvres. La thématique fluviale sert désormais de support à des manifestations culturelles promotionnelles de grande ampleur (Biennale de l’estuaire, Normandie Impressionniste, Grand Lyon – Rives de Saône) où commanditaires (élus, aménageurs, promoteurs) et commandités (artistes, photographes) ont désormais partie liée en temps réel pour produire ces configurations d’investissement local (patterns) et ces rentes de monopoles théorisées par l’anthropologue David Harvey dans Géographie de la domination (3) : Les industries de la connaissance et du patrimoine, la production culturelle, les grands noms de l’architecture, la culture de jugements esthétiques sont devenus (un peu partout, mais surtout en Europe) de puissants éléments constitutifs de la politique de l’entrepreunarialisme urbain. La lutte pour l’accumulation de marques de distinction et de capital symbolique collectif dans un monde hyperconcurrentiel fait désormais rage. Mais cette lutte soulève des questions localisées: La mémoire collective de qui ? Les bénéfices pour qui ? (4) »

Face à la violence de l’accaparement économique, et le contexte d’opérations de reconfigurations urbaines ou territoriales où les artistes servent parfois à faire diversion 180 km avant la mer s’attache à rendre le devenir et l’imaginaire du territoire à ceux qui l’occupent plutôt qu’à ceux qui l’exploitent, avec un intérêt fort pour l’auto-construction et l’architecture vernaculaire. Pour évoquer les formes d’habitat spontané et leur poésie, opposable à l’imaginaire technocratique de l’aménagement territorial, Gilles Saussier a souhaité inviter un de ses anciens étudiants, Louis Matton, à présenter ses Objets autonomes sur les modes d’habiter la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

(3) David Harvey, Géographie de la domination, Paris éd. Les Prairies ordinaires 2008.

(4) Gilles Saussier, Entre le site et l’image. Notes sur une pratique photographique de site specific. Actes du colloque La Seine, une vallée, des imaginaires, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2015.

Objets autonomes de Louis Matton :

Objets Autonomes est un ensemble de photographies réalisées sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par Louis Matton entre 2012 et 2015. Les objets, sculptures et installations fabriqués in- situ, peuplant l’espace aux côtés des habitants, signalent leur territoire. Produits et utilisés pour vivre sur place de manière autonome, pour répondre aux harcèlements des forces de police et militaires, ils constituent un témoignage sur des savoir-faire artisanaux singuliers ; s’y mêlent créativité et contestation. À la manière d’un anti-manuel de scouts, l’ensemble photographique concentre différents moyens concrets de reprendre en mains l’existence matérielle et territoriale de nos vies et en dévoilant la plastique de cette matière d’expression, tente d’élaborer une nouvelle cartographie de la zone. C’est l’émergence de matières d’expression (qualités) qui va définir le territoire.[…] Elle [la couleur] devient expressive […] lorsqu’elle acquiert une constance temporelle et une portée spatiale qui en font une marque territoriale, ou plutôt territorialisante : une signature. […] L’oiseau Scenopoïetes dentirrostris établit ses repères en faisant chaque matin tomber de l’arbre des feuilles qu’il a coupées, puis en les tournant à l’envers, pour que leur face interne plus pâle contraste avec la terre : l’inversion produit une matière d’expression… 5 En jouant sur la polysémie du terme autonome, Objets Autonomes désigne tout autant la fonction politique de ces objets, que son retrait de tout contexte argumentatif. Ils sont en même temps, objets utilisés par les occupants de la zone de Notre-Dame-des-Landes, ensemble symbolique de lutte et couleurs, formes, sculptures, images à regarder en tant que telles.

(5) DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Capitalisme et schizophrénie, T. 2, Mille Plateaux, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1980, p. 387.

La Forme Lieu d’exposition Art contemporain Architecture

170 Rue Victor Hugo 76600 Le Havre

Entrée libre jeudi, vendredi, samedi de 14h30 à 18h30 pendant la durée des expositions

www.laforme.lehavre.fr

Visuel de présentation : Gilles Saussier, 180km avant la mer Kilomètre 180 – les basses falaises, 2017 ©Gilles Saussier

 

Gilles Saussier, 180km avant la mer Kilomètre 180 - les basses falaises, 2017 ©Gilles Saussier
Gilles Saussier, 180km avant la mer Kilomètre 180 – les basses falaises, 2017 ©Gilles Saussier

 

Louis Matton, Objets autonomes ZAD de Notre-Dame-des-Landes Ensemble de photographies et d’objets (détails) 2012-2015 ©Louis Matton
Louis Matton, Objets autonomes ZAD de Notre-Dame-des-Landes Ensemble de photographies et d’objets (détails) 2012-2015 ©Louis Matton