El oro de los tigres – 12/01 au 14/03 – AIR DE PARIS, Romainville

El oro de los tigres – 12/01 au 14/03 – AIR DE PARIS, Romainville

Exposition collective El oro de los tigres curatée par Ana Mendoza Aldana avec Evgeny Antufiev, Lucy Bull, Horia Damian, Louise Giovanelli, Rodrigo Hernández, Jill Mulleady, Lin May Saeed du 12 janvier au 14 mars 2020 à AIR DE PARIS, Romainville.

Vernissage dimanche 12 janvier de 12h à 18h

Navette FlixBus 10 Place de la République (en face de Go Sport) à 12, 14 et 16h. Départ de Komunuma à 13, 15 et 18h.
Contact : +33 6 52 07 78 74

Vernissage festif dimanche après-midi, food-truck.

Le soleil jaune poursuit sa lente course derrière l’horizon.
Les dernières feuilles ambrées ont tapissé le sol, gardant dans leur ventre l’écho d’une chaleur tiède d’automne, avant les neiges cendrées qui s’annoncent.

D’autres nuances d’ocre poussent, sous la forme de fleurs, d’arbres, et d’arbustes jaunes aux jaunes épines. On pourrait compter les milliers de graines et de spores acides à en perdre le compte, à en perdre la tête. Lorsqu’un feu se consume, plus loin encore, les flammes reprennent. Le grondement de la terre illumine le crépuscule.

Le sable dans le sablier a formé sa pyramide.

A l’intérieur de leur cage, les tigres dorés de Borges retracent encore leur chemin ∞ fois emprunté, obstinés, accomplissant avec une frénésie déterminée leur destinée répétitive. Leurs rayures cachent peut-être l’écriture divine (1) .

Au cœur des fils tendus de grand-mère à père, de père à fils, les cellules multiplient leur dégénérescence. Les bords émeraudes de la nébuleuse empiètent déjà sur la rétine et le globe se couvre d’un brouillard épais. La cécité s’installe pendant que les pages de la bibliothèque sans fin se couvrent d’une poussière bleue et fine, et pourtant, en constellations éparses, reste le jaune.

*
Lorsque viendront les temps obscurs
Chantera-t-on toujours ?
Oui, on chantera toujours.
Sur l’arrivée des temps obscurs (2) .
*

Jorge Luis Borges est connu pour ses récits aussi denses que brefs, peuplés de jeux de miroirs, de labyrinthes, et de son amour immense pour la philologie. Pour l’écrivain, le temps est continuum spatiotemporel (3) .
Entre juin et août 1977, Borges (1899-1986), fait un cycle de conférences au Teatro Coliseo à Buenos Aires. La Ceguera (La Cécité) est la septième et dernière intervention (4) .
La Ceguera part d’une histoire personnelle : Borges sait très jeune qu’il deviendra aveugle. Dans cette conférence, ainsi que dans le poème écrit quelques années plus tôt, El oro de los tigres (1972) (5), il rend hommage à cette cécité qu’il décrit non pas comme une lente descente à l’obscurité (comme si quelqu’un éteignait progressivement la lumière), mais plutôt comme la perte graduelle des couleurs.

1 . Dans l’Écriture du dieu, un dieu d’une civilisation précolombienne aurait inscrit une phrase divine capable de conjurer tous les maux de la fin des temps dans les taches d’un jaguar. Jorge Luis Borges, La escritura del dios, dans El Aleph, ed. Emecé, 1949
2. Traduction libre du poème Motto de Bertolt Brecht, dans Svendborgdigte, section II, 1939
3. « Le temps est un fleuve qui m’entraîne, mais je suis le fleuve. C’est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre ; c’est un feu qui me consume, mais je suis le feu. Pour notre malheur le monde est réel, et moi, pour mon malheur je suis Borges. » Jorge Luis Borges, Obras completas, Emecé, Buenos Aires, 1996. 816 p.
4. La conférence est visible dans son intégralité sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=LLjd2eo62II 5 El oro de los tigres, ed. Emecé, 1972, 168 p

Le Rouge et le Noir, comme il déclare dans la conférence, sont des couleurs que Borges regrette. L’auteur n’est jamais plongé dans le noir total, le monde lui apparaît constamment enveloppé d’un bleu et d’un vert qui semblent avoir perdu leur éclat, un gris sale s’est substitué au blanc…
Le jaune pourtant est la seule couleur à n’avoir rien cédé à la cécité. L’éclat du jaune, son rayonnement solaire, restent intacts. La couleur devient alors un fidèle compagnon, prêt à resurgir dans les souvenirs les plus heureux de l’écrivain : la contemplation des fauves au zoo, l’or de leur peau feutrée chatouillant son regard d’enfant.

Après ces lectures, il y a plus d’un an, soudain pour moi aussi, le jaune m’apparaissait un peu partout : dans les manifestations qui ont secoué la France en novembre 2018, et dont des équivalents semblent gronder, comme les répliques d’un même tremblement, ailleurs dans le monde depuis : en Algérie, en Bolivie, à HongKong, au Liban, au Chili ; dans la lecture d’écrits féministes d’il y a plus de cents ans1 ; dans les feux qui ont consumé une bonne partie de l’Amazonie, de la Californie, de l’Australie ; et, à l’instant où j’écris ces lignes, dans les feuilles mortes qui recouvrent les trottoirs de Paris.
Un jaune récurrent devenu hypertexte, incarné et physique : un révélateur des vagues qui secouent le réel.

Les artistes invités à participer à cette exposition, partagent tous un rapport au temps au-delà de l’immédiat et de l’instantané. Leur travail puise ses racines dans la littérature, les contes de civilisations anciennes et les formes archétypales que celles-ci ont produites. Un passé et des histoires qui se superposent et convergent avec notre présent.

1. The Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins Gilman (1892), mais j’ai constaté également que c’est la couleur jaune qui revient le plus souvent dans Mrs. Dalloway de Virginia Woolf

AIR DE PARIS
43, rue de la Commune de Paris 93230 Romainville
Exposition en accès libre.
Exposition accessible aux personnes à mobilité réduite.