Bruit Rose

Topographie de l'art

Bruit Rose

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Sasha Andrès
 / Nils Bertho / Lenté Chris  / Anne-Sophie Le Creurer /  Alison Flora
/ Zad Kokar / David Lynch / Ramuntcho Matta / Jonathan Meese / Augustin Rebetez
  / Winshluss

Commissaires : C.N. Jelodanti (Clara Djian & Nicolas Leto)

BRUIT ROSE :

Dans la courte nouvelle Kews Garden (1919), Virginia Woolf décrit la vie d’une plate- bande fleurie du point de vue d’un escargot. On y trouve notamment cette description extraordinaire : « La lumière tombait sur le dos gris et lisse d’un galet, ou bien sur la coquille d’un escargot striée de veines brunes circulaires ou encore, se piégeant à l’intérieur d’une goutte de pluie, en emplissait si intensément de rouge, de bleu et de jaune, les parois fines que l’on s’attendait à les voir céder et disparaître. » La goutte d’eau n’éclatera jamais et emprisonnera au contraire le monde en son cœur, avec ses couleurs, ses bruits et ses reflets d’airain, dont elle se remplira comme un ventre. Une goutte sur le dos d’un escargot et qui contient le monde ? C’est une définition assez juste de ce que renferme l’exposition Bruit Rose.

Le tout de l’art et de la musique est contenu à travers les œuvres de cette douzaine d’artistes qui ont en commun non seulement d’être, pour la plupart, des dessinateurs, des peintres et des musiciens, mais surtout d’entretenir un rapport direct mais altéré au réel. L’art est bien entendu toujours une représentation altérée du monde, par la sensibilité, la force de la représentation ou les a priori de l’artiste, mais de David Lynch à Alison Flora en passant par Nils Bertho et Anne-Sophie Le Creurer on a cette sensation que l’écran (la paroi de notre goutte d’eau du début) qui filtre et contient la lumière et les bruits du monde occupe, chez ces artistes, une double fonction qui consiste à l’enchanter et à l’humaniser.

L’enchantement est la transformation du réel en merveilleux, une force qui permet de le faire passer à travers une paroi faite de rêves, de mythes et de légendes. Omniprésente ici, cette magie s’exprime à travers l’univers coloré et qui rappelle les contes de fées de Anne-Sophie Le Creurer ou celui plus inquiétant et gothique de Alison Flora. Les sujets de Nils Bertho ou les travaux de Zad Kokar produisent le même effet : les formes, les personnages sont familiers, amusants et dégagent une bonhomie joyeuse. Leurs couleurs attirent. Ils évoquent. Ils parlent. Ce sont ces formes-figurines qu’on hérite tout aussi bien de l’enfance que de la mythologie médiévale ou gaélique et dont découlent les histoires. Le Bruit Rose est peuplé de créatures plus que d’humains. Il est peuplé de formes parfois protozoaires, ou qu’on distingue à travers la Grande Soupe Imaginaire, comme chez Sasha Andrès. Est-ce un oiseau ? Un poisson ? la forme est un son ou un trait qui a réussi à gagner l’éternité, à se solidifier mais qui conserve à l’intérieur de lui le mouvement qui le constitue. A travers l’écran, l’homme se transforme en personnage et en dessin, en récit. Le cinéma de David Lynch ne tient presque que sur cet effet là : cette capacité à faire écran, à filtrer le réel pour le détourner de sa direction initiale. Le résultat est étrange, déviant. « Disturbance », écrit-il sur l’une des lithographies de l’exposition. « Gênance » diraient les adolescents de l’époque en regardant l’écart entre la lune et le soleil. Entre l’homme et la lame du couteau, il y a le bras si long et irréel. Lorsque Winshluss s’amuse avec l’affiche de la Nuit du Chasseur de Charles Laughton/L’automne, l’enchantement transforme le noir et blanc de la pellicule en un crayonné de légende qui en conserve littéralement le matériau, jusque dans cette petite étincelle/étoile scintillante qui protège les enfants. Etoile du berger.

L’exposition Bruit Rose est une balade imaginaire, une balade en imaginaires, pluriels et fantastiques. Mais c’est aussi, un regard porté sur ce qui compose la matière humaine, mieux que ça, un écran qui révèle la nature strictement organique de l’imagination. Le
regard est féminin. Il est attentif, précis bien qu’inventé. Les artistes réunies ici sont majoritairement des artistes. Il suffit de l’écrire ainsi pour qu’on sache qu’elles sont des femmes, des filles. Nul n’est besoin de rajouter un E ou un .e. Il se voit même invisible. Et les filles savent. Jonathan Meese est moustachu et allemand mais il n’y a pas un de ses dessins qui ne dise qu’il est le fils de sa mère, Brigitte, avec laquelle il a longtemps travaillé. L’encre de Sasha Andrès semble engager un dialogue instantané avec la coupe- conque de David Lynch. C’est la vie qui déborde, qui grouille, intestine, extra-utérine, maternelle et matérielle. La figuration libre chez Ramuntcho Matta renvoie à Combas et Di Rosa. Elle est latine, sexy comme un morceau de pop à ailes de condor. Les peintures au sang de Alison Flora parlent d’elles-mêmes. Les palais sont vides. L’angoisse est médiévaliste mais surtout vitaliste. Les références au jeu vidéo ou au folklore des Pyrénées renvoient à une exploration intérieure, à un territoire plein et creux à la fois, mais où la vie triomphe parce qu’elle est le produit de l’art. C’est encore elle qui se répand chez Lenté Chris en un bouillonnement horrifique et infiniment turbulent. Gargantua est Elephant Man. C’est David Lynch en jeune homme qui défie Cronenberg et le convoque au duel du petit déjeuner. Après la bataille, il ne reste rien, c’est-à-dire à peu près tout et l’encre tranchante et acérée de Nils Bertho. L’underground est overvivant. Ovaire-vivant. Cartoonorrifique. Tout est permis. Les images s’assemblent et se désassemblent dans une boîte de chaos, en carton agile. Augustin Rebetez et ses étranges volatiles occupent un ciel contemporain et préhistorique où on lit la PANIC dans les yeux des hommes. Les silhouettes s’enlacent pour se tenir chaud, arrondies le plus souvent pour ne pas se blesser, se consoler ou parce qu’elles ont dû courber l’échine. Elles plient.

Et la musique là-dedans ? Le bruit rose rappelle le bruit des vagues, ou de la pluie, mais seulement lorsqu’on l’entend à travers la fenêtre ou l’abri des rideaux. C’est un bruit qui n’a de doux que la couleur. On ne va pas mentir en inventant des rapprochements qui n’y sont pas. Les rapports sont ténus entre l’électro-dream de Saintes, le groupe d’Anne- Sophie Le Creurer, et le brutalisme punk des Gängstgäng d’Augustin Rebetez, de Zad Kokar ou d’Adolf Hibou, le groupe de Nils Bertho. Mais il y a du rêve et de la comédie partout, depuis les cascades atmosphériques de Sopoorific d’Alison Flora, jusqu’aux terreurs burlesques du Crazy Clown Time de David Lynch (en)chanteur. L’heure du clown dingo. Dingo comme l’attaque d’une drag-queen de quinze mètres de haut, qui winshlusse chez John Waters.

Crazy Clown Time et bruit rose chez les escargots. « Au lieu de cela, la goutte recouvrait son gris d’argent initial, laissant la lumière se déposer sur la chair d’une feuille, révélant les filigranes des nervures sous la surface, pour de nouveau répandre son éclat parmi les vastes espaces verdâtres caché sous le dôme formé par les feuilles en cœur de langue. » L’escargot paraissait poursuivre un but précis. Mais il n’en était rien. Pas dit qu’il bave à temps jusqu’à la galerie.

Benjamin Berton / Romancier

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Date et heure

13-04-2024 - 14:00 à
13-06-2024 - 19:00
 

Types d’évènements

 

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